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Rivages

Rivages
26 avril 2018 Wilhem
Nous sommes la part invisible de votre existence

Une journaliste mène l’enquête pour découvrir l’identité de migrants perdus en mer alors qu’ils tentaient la traversée vers Lampédusa. Elle part à la rencontre d’Hatem, un artiste qui vit en retrait de la société, au bord d’une plage. Pour dépasser sa colère face à l’indifférence générale, il créé, à partir d’objets rejetés par la mer, des œuvres pour bousculer et interroger les consciences.

Nous découvrons alors un groupe de migrants déjà morts mais toujours en quête de passage. Dans un espace saturé de vêtements, manipulé à vue par Hatem, sorte de marionnettiste-illusionniste de cette histoire, ces âmes en peine veulent continuer leur voyage à tout prix. Pour cela, elles utilisent un nouveau procédé pour passer les frontières : le catapultage.

Avec un humour décapant, une énergie communicative et une langue chatoyante, Rivages, invite à décentrer les regards sur les migrations : au-delà d’une même humanité c’est avant tout d’une existence commune dont il faut prendre acte.

Tout public à partir de 14 ans
durée : 1h20

Intentions / juin 2017

De la réalité à la fable

Rivages est d’abord le résultat d’une réflexion menée de longue date sur l’exil. C’est aussi le fruit d’un processus initié en 2014 avec la réécriture de L’Odyssée. Premier texte littéraire sur l’exil, Ulysse et ses compagnons sont les premiers naufragés de la mer Méditerranée. Ce travail sur L’Odyssée m’a amené à poser un regard sur le drame des migrants d’aujourd’hui.

C’est ainsi que j’ai écrit un long texte mêlant récits de vie et fiction, pour le festival Hybrides de Montpellier. Je racontais le périple de migrants quittant la Syrie, l’Erythrée et la Tunisie, et qui se retrouvaient sur la côte libyenne juste avant leur départ pour Lampedusa. Dans ce récit, il y avait, sur l’île italienne, un chien appelé Argos qui rapportait les objets rejetés par la mer et qui les enterrait dans un jardin.

Depuis, j’ai entendu, dans une émission sur France Culture, l’interview d’un homme, Morsen Lihideb, qui ramasse les objets des disparus en mer rejetés sur les plages. Le reportage de Martine Abat pour France Culture m’a offert un point de départ pour Rivages.

Le texte que j’ai écrit nous emmène dans l’univers mental de Hatem qui fait glisser les spectateurs de son imaginaire sur la vie des migrants vers un lieu de mémoire où vivent les disparus. Les allers-retours entre le réel et la fable forment alors un puzzle.

D’une rive à l’autre, une fable cosmopolite

Avec cette nouvelle création, je traite de la peur de l’Europe de recevoir sur ses terres des populations qui viennent de pays en guerre ou bien de pays dirigés par des régimes autoritaires ou que ne peuvent, ne veulent pas nourrir leurs peuples. Ces tragédies poussent des millions de personnes sur les routes et nous obligent à repenser l’équilibre du monde.

Qui sommes-nous ? Qui est l’autre ?

Les déplacés climatiques viendront demain frapper à la porte de l’Europe. Les peurs assèchent le coeur des gens et notre rôle, en tant qu’artistes, est de ne pas accepter cela ; Il faut s’emparer de ce sujet. Pas pour essayer d’apporter des réponses, mais pour agir avec les mots, les émotions, le rire et les images, pour évacuer les peurs. Je ne dis pas que l’art et la culture vont soigner les gens, mais il ne faut pas se taire ni laisser un espace vide.

Indirectement ce spectacle va parler de la Syrie car le drame de ce pays occupe tout l’espace médiatique mais c’est un regard plus large que je veux poser sur l’exil, je ne veux pas aborder les migrations uniquement sous le prisme de l’asile te des réfugiés. Je veux écrire une fable pour raconter mon interprétation de ces drames.

Interview / juin 2016

L’exil est une question centrale dans ton travail, que ce soit dans La trilogie algérienne ou dans Samedi, la révolution, que cherches-tu à dire de plus sur la question avec ce projet ?
Dans Samedi, la révolution, le point de départ est certes l’exil, avec le personnage qui est en prison à Amsterdam et qui a préféré quitter son pays pour vivre dans une prison européenne mais on s’en éloigne rapidement, et cela devient une pièce sur l’Algérie et les désillusions du « Printemps arabe » dans le pays. La trilogie algérienne explore davantage les conséquences de l’exil. Le personnage de Kaci est le fruit de cet exil. Il en porte à la fois les stigmates et les bienfaits. Sa double culture est une richesse, mais il porte encore en lui, comme un legs, la douleur de l’éloignement, de la terre natale et de la culture. Le dernier volet, Alger Terminal 2, est une mise en garde contre les dérives intégristes du fils de Kaci, car il porte en lui l’héritage culturel de ses grands parents, et surtout leur histoire. Avec cette nouvelle création, je traite de la peur de l’Europe de recevoir sur ses terres des populations qui viennent de pays en guerre ou bien de pays dirigés par des régimes autoritaires ou des pays qui ne peuvent ou ne veulent pas nourrir leur peuple. Ces tragédies poussent des millions de personnes sur les routes et nous obligent à repenser l’équilibre de ce monde. Qui sommes nous ? Qui est l’autre ? Les déplacés climatiques vont venir demain frapper à la porte de l’Europe. Les peurs assèchent le coeur des gens et notre rôle, en tant qu’artistes, est de ne pas accepter cela. Il faut s’emparer de ce sujet. Pas pour essayer d’apporter des réponses, mais pour agir par les mots, les émotions, le rire et les images, pour évacuer les peurs. Je ne dis pas que l’art et la culture vont soigner les gens, mais il ne faut pas se taire ni laisser un espace vide.

Tu travailles sur ce projet depuis 2014, quelles ont été les premières pistes que tu as explorées au festival de poésie Voix vives de méditerranée en méditerranée à Sète où tu es artiste associé ? Comment le projet évolue-t-il ? Est-ce lié à l’actualité ?
L’Odyssée a été le point de départ : j’ai raconté le voyage d’Ulysse qui erre avec ses compagnons sur la Méditerranée. Le drame de Lampedusa s’est imposé en parallèle. Alors j’ai écrit un long récit où je racontais le périple d’une poignée de réfugiés quittant la Syrie, l’Érythrée et la Tunisie, et qui se retrouvaient sur la côte Libyenne juste avant leur départ pour Lampedusa. J’ai abordé plusieurs sujets : l’esclavage, le trafic d’être humain, les femmes premières et doubles victimes, l’homosexualité dans le monde arabe. J’ai abordé les conflits, causes de l’exil, et leurs conséquences. C’était un long poème, comme un réquisitoire. Dans ce récit il y avait déjà sur l’île italienne un chien appelé Argos (que l’on va retrouver) qui rapportait les objets rejetés par la mer et qui les enterrait dans un jardin.Depuis, j’ai entendu dans une émission de France Culture, l’interview d’un homme qui ramasse les objets des disparus en mer rejetés sur les plages dans les alentours de Zarzis dans le sud tunisien. Sa maison est remplie de tous ces objets et pour chacun il imagine une histoire. Cette coïncidence m’a offert un point de départ. Maintenant je veux en faire un objet théâtral, moins de mots, être moins direct. Là, je veux écrire une fable pour raconter mon interprétation de ces drames. Le lien avec l’actualité est évident : il faut être à l’écoute de l’information quand on revendique de faire du « théâtre documentaire ». Quand je parle de théâtre documentaire, je veux parler d’une forme théâtrale qui traite d’un thème social contemporain. C’est un théâtre ancré dans l’actualité, le réel, lié à ce qui nous interpelle, nous agite, nous met en colère. Il ne suffit pas de dénoncer, il faut que cela soit un acte agissant. Un théâtre qui donne la force de défendre ses idées. Or face à cette abondance d’images et d’indignation, la question du « comment » est primordiale : comment en parler ? Comment les journalistes peuvent-ils couvrir ces drames ? Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de fiction : je pars du réel, puisque je m’appuie sur des réalités et des témoignages, mais ensuite je m’en éloigne, je rentre dans la fiction, la parabole, un récit allégorique.

Est-ce un projet qui va traiter directement de l’actualité autour des réfugiés syriens par exemple ou ton propos est-il plus large ?
Indirectement, il va parler de la Syrie, car le drame de ce pays occupe tout l’espace médiatique mais c’est un regard plus large que je veux poser sur l’exil, je ne veux pas aborder les migrations uniquement sous le prisme de l’asile et des réfugiés. Quel mot préfères-tu employer pour parler de ces hommes et femmes ? Les misérables,j’aime bien ce que ça dit politiquement. Il a été employé dans la tribune d’un journal. Il remet les choses à leur place en posant le problème économique des inégalités qui créent des confits qui créent de la misère. Mais le mot le plus juste reste les exilés.

Ne crains-tu pas que le sujet soit sur-représenté avec le risque de lasser les spectateurs ou ne soit plus d’actualité au moment de la création ?
Non malheureusement il n’y a pas de crainte à avoir de ce côté-là : cela va rester d’actualité. Mais au-delà même de l’actualité, c’est un sujet qui, depuis toujours, intéresse les Hommes car nous sommes tous des enfants de la migration. L’exil est un sujet qui dépasse les origines, nous sommes tous concernés par cela.

Comment s’est faite la rencontre avec Olivier Jobard et Claire Billet, quelles étaient tes envies de départ et où en es-tu aujourd’hui ?
J’ai rencontré Olivier Jobard lors du festival Hybrides de Montpellier où nous étions tous deux invités, lui pour parler de son travail photographique sur Kingsley, un migrant camerounais (dont une partie est reproduite dans ce dossier), moi pour une séries de rencontres avec de futurs footballeurs, des femmes tout juste arrivées du Maroc, des sans-papiers, des passants. J’échangeais avec eux sur la condition de migrant. Nous avons échangé sur son métier de reporter, son périple avec Kingsley. Puis nous nous sommes revus à Paris avec Claire Billet. Là on a davantage parlé de leur projet commun « Kotchok » sur le périple de cinq afghans et de leur choix de montrer les coulisses de leur voyage avec eux. Pour Claire et Olivier, il ne s’agit pas seulement d’accompagner pour montrer les faits mais de saisir – par le biais de la caméra ou de l’appareil photo – les sensations et les sentiments, c’est un travail d’introspection très personnel. Ces rencontres ont nourri ma réflexion sur la place du reporter mais aussi sur le regard que je veux poser sur les migrants.

Comment penses-tu éviter les stéréotypes entre critique sans appel des médias de masse et apologie aveugle des grands reporters ?
Le théâtre est le lieu de la question, je ne cherche pas à trouver des réponses. Je veux montrer des personnages de journalistes convaincus que ce qu’ils entreprennent est éthique et juste. Leur volonté de nous émouvoir, c’est cette matière que je veux utiliser.

Comment envisages-tu le travail avec Gustave Akakpo notamment par rapport à ton expérience de compagnonnage avec Arezki Mellal ? Quel a été le cheminement pour choisir Gustave, comment s’est faite la rencontre ?
Ce sera une autre aventure que celle avec Arezki car, pour ce dernier, nous sommes partis d’un de ses textes pour écrire une fiction d’actualité. Je connais Gustave depuis plusieurs années, je l’ai vu jouer un de ses textes, j’en ai lu et entendu d’autres, nous nous sommes souvent croisés. Quand j’ai eu cette envie d’entendre une autre voix à l’intérieur de mon écriture, j’ai pensé à lui qui pose un regard acéré sur l’exil. Et lorsque nous avons échangé sur le projet, nous nous sommes découverts beaucoup de chemins partagés. Nous allons mêler nos voix. Nous allons aller à contre-courant de ce que l’on peut montrer sur les migrants. On entendra un langage africain sans tomber dans les clichés, ni dans les généralités. Nous partageons le goût du conte et la dérision.

Quand tu parles du projet, tu parles de fable, cela veux dire que tu vas raconter des parcours de migrants, des récits de vie ?
Je veux dire que ce sera comme un conte, comme Alice au pays des merveilles. Oui Alice est une référence. Le personnage de la journaliste reporter deviendra une Alice au pays des migrants.

Comment envisages-tu la place de la musique ou du son ?
Je vais demander à Margarida Guia et Clément Roussillat de composer une bande sonore à partir d’un montage mêlant les univers qu’ils affectionnent faits de musiques électroniques, de petits instruments, de bidouille sonore comme ils aiment à le dire qui produisent souvent des musiques propices à l’émotion et à la rêverie. A cela s’ajouteront une bande son réaliste avec des morceaux de voix humaines, des extraits de reportages radio, des bruits de la ville. Margarida et Clément ont déjà beaucoup de matière enregistrée à Béjaïa et Alger au moment de notre résidence pour Samedi, la révolution. Nous irons aussi au Burkina Faso pour trouver d’autres ambiances, d’autres couleurs. Pour cette partie, je veux proposer le rire comme fil directeur.

Quelles sont tes intentions de mise en scène ?
Il y aura un passage chorégraphié où les exilés paradent, une sorte de défilé de mode revisité influencé par les battle hip hop autant que par la culture de la sape. Ils sont beaux car il faut être beau pour aller à Las Vegas ! Sur le plateau, je vois des objets assez typiques comme des valises, des vêtements, des chaussures, des bouteilles en plastique. Je pense surtout à d’énormes tas, des amoncellements ainsi qu’a des choses étiquetées comme dans les fouilles archéologiques, comme dans l’installation de Christian Boltanski : Personnes.

Et en terme de direction de jeu ?
7 comédiens au plateau, cela me paraît être un bon chiffre ! J’aime que le comédien laisse vibrer les émotions en lui, reçoive celles des partenaires et les partage avec le public. Que le spectateur pense qu’il invente ce qu’il dit tandis qu’il est là en direct mais qu’en même temps, le comédien soit quelque part ailleurs, dans un lieu inaccessible.

Quels sont les compagnies ou metteurs en scène qui comptent pour toi ?
Peter Brook parce qu’il crée un théâtre qui offre de la liberté au jeu et à l’imaginaire, qui invite le public à entrer dans les espaces qu’il nous offre. Brook est un héritier du théâtre élisabéthain. J’aime son esprit de troupe, la sobriété de ses décors qui se changent en plusieurs lieux. C’est un théâtre du dénuement où le jeu de l’acteur est central : la simplicité des émotions, l’expression des sentiments, un jeu très physique sont caractéristiques de son travail.

Extraits

Scène 1

Elle
On peut commencer l’interview ? Déjà merci de m’accueillir chez vous. Vous étiez postier avant ? Pourquoi avez-vous tout arrêté ?

Hatem
Pour revenir à mon innocence.

Elle
Vous avez grandi ici au bord de la mer ?

Hatem
Quand on était petit, la mer était notre refuge.

Elle
Pourquoi ?

Hatem
Parce que nous étions maltraités par la famille, par la mosquée, par la société, et la mer était pour nous l’espace de liberté.

Elle
Et vous avez tout arrêté comme ça ?

Hatem
Oui, à 40 ans, j’ai fusionné avec la mer, avec la plage, avec l’air, avec tout ce qui existe, c’est-à-dire je ramassais tout ce qui venait de la mer, les objets rejetés par les vagues, amenés par la providence, offerts par l’autre, offerts aussi par le rayon de soleil, tous les objets insignifiants étaient importants pour moi. Il y en avait des milliers, des milliers de bouteilles, des cordes, des planches, tout ce que tu peux imaginer qui venait de la mer.

Elle
Vous avez perdu votre travail ?

Hatem
Au temps de la dictature, on ne pouvait pas être différent.

Elle
Impossible ?

Hatem
Impossible, tout le monde se lève tôt pour chercher de l’argent, pour accumuler des richesses et toi tu fais des choses bidons. Il m’est arrivé de rester des années à remplir des bouteilles en eau, des années, tu imagines un peu, pour les placer sur le mur. Quand les couleurs se réfléchissent pendant la tombée du soleil c’est tellement beau. Faire des choses comme ça, gratuites, aussi longtemps, ils m’ont traité de débile, c’est un fou complètement inquiétant.

Hatem s’est levé et a posé une chaussure sur la ligne. Il est tout près d’Elle.

Elle
A quoi reconnaissez-vous que les vêtements que vous ramassez sur les plages appartiennent aux migrants ?

Hatem
Parce que les chemises sont boutonnées, c’est forcément quelqu’un qui s’est noyé, et les chaussures avec les lacets encore faits.

Elle
C’était quand, ce premier corps que vous avez trouvé sur une plage, c’était quand ?

Hatem
Sur une plage oui. Ça c’était en 2003.

Elle
En 2003 !

Hatem rejoint son tas de chaussures.

Hatem
Je crois, il y a 14 ans comme ça, et de loin j’avais vu la forme d’une tortue à l’envers sur le dos mais en m’approchant j’ai pu voir son dos musclé couvert par les algues, et surtout la tête, et j’ai découvert que c’était un noir, mon ami Mamadou.

Hatem est assis de nouveau sur son bidon.

Elle
Vous l’avez appelé Mamadou ? Et pourquoi vous avez eu envie de le nommer ?

Hatem
Tous les disparus, les hommes, je les appelle Mamadou. Et j’ai lu une sourate du Coran pour un défunt et tout de suite après sincèrement j’ai crié, j’ai crié très, très, très fort, un cri de colère, de rage. Irrévocable, une colère irrévocable et juste.

Scène 2
Extrait 1

Le passeur
Pourquoi te cachais-tu ?

Le catapulté
Je ne me cachais pas.
Le chef
Écoutez cet admirable menteur.

Le catapulté
Je reprenais contact avec la réalité.

Le passeur
Cher monsieur l’ambassadeur, présentez-nous la réponse à vos lettres de créance.

Le catapulté
Après avoir été dûment catapulté par vos soins, suspendu dans l’air, tel un vautour famélique à la recherche d’une proie facile, je tournoyais en vue d’un point de chute confortable. C’est alors qu’on m’a offert un cadeau royal : le plaisir d’admirer leur ciel d’azur. J’ai zoomé, j’ai panoramisé. Mes amis leur ciel n’est pas comme le nôtre, ce bal poussière désorganisé.

Le passeur
Continue.

Le catapulté
Eux, ils ont un ciel climatisé, décomplexé. Là-bas, l’ordre règne et l’état de propreté est excellent. Ne les croyez plus quand ils vous disent que les frontières n’existent pas dans le ciel, la ligne de démarcation est nette et sans bavure. Dieu, viens t’expliquer un peu sur ta gestion du ciel. Après tout, depuis qu’il a abandonné la Terre aux hommes, qu’il a migré, qu’il s’est exilé, c’est sa chasse gardée, le ciel. Dieu explique-moi, pourquoi tu traces dans le ciel des chemins à sens unique ? Hé, Dieu !

Le passeur
Ne blasphème pas !

Le catapulté
Je vous assure c’est un ciel fabriqué pour les pieds en éventail, pour les corps huilés, les peaux douces à bronzer.

Le passeur
Tu faisais du tourisme.

Le catapulté
Je marquais juste une petite pause pour faire des selfies et j’ai oublié un bref instant la loi de la pesanteur, et comme notre repérage et notre catapultage ne sont toujours pas au point, même si nos ingénieurs travaillent nuit et jour depuis les indépendances sur l’ouverture des braguettes à glissières, vous m’avez catapulté sur leurs barrières grillagées.

Extrait 2

Saloua
À la ville du bout du fleuve, je suis allée dans une mission, vu que j’avais étudié avec mon père qui faisait la classe au village, maintenant de ça je me souviens très bien, mon père était pasteur et il faisait la classe au village, grâce à son enseignement j’avais passé mon diplôme, et du coup j’ai pu travailler, j’enseignais pour les orphelins, il y en avait des centaines qui arrivaient tous les jours, je me souviens que c’est à la mission que j’ai rencontré mon fiancé et que je me suis mariée et j’ai eu deux enfants, mais la guerre civile menaçait de nouveau, à la mission il y avait une autre fille qui enseignait avec moi on parlait la même langue, nous étions très amies, je me souviens de ce jour oh oui je m’en souviens bien où elle m’a dit qu’avec son fiancé elle allait partir pour l’Italie, moi je ne voulais pas partir, mais mon mari avait peur de la guerre civile qui a fini par éclater encore, et les massacres ont recommencé, je me souviens que c’est avec mon amie et son fiancé que je suis partie je m’en souviens que je me suis dit que c’était un vrai départ dans la vie, j’ai laissé mon mari et j’ai pris mes enfants, je me souviens qu’il m’a dit je vous rejoindrais bientôt, alors on est partis on était serrés endormis dans le camion, on a voyagé longtemps nuit et jour serrés endormis dans le camion, même que des fois il y en a qui tombent endormis du camion, et que le camion lui continue sa route, je me souviens qu’à la frontière les militaires nous ont fait descendre et ils nous ont prises mon amie et moi, pour nous emmener, mais le fiancé s’est jeté sur eux en hurlant comme un démon, ils lui ont rentré son cri dans la gorge à coups de crosse, ils ont mélangé sa tête en bouillie avec la terre, que même mort il criait encore ou bien son sang ou alors les morceaux de son crâne sur leurs habits hurlaient ça je ne m’en souviens plus vraiment, je me souviens juste que j’étais de nouveau dans le camion, serrée avec mes enfants qui pleuraient et qui allaient plus tard se noyer dans la mer mais là c’est plus tard, mon amie criait dans la poussière et le camion s’éloignait, j’entendais plus mon amie crier peut-être parce que je me bouchais les oreilles, ou peut-être aussi à cause du bruit du camion qui s’éloignait de la poussière et des militaires qui riaient dans la poussière.

Extrait 3

Le passeur
Écoute Saloua, tu as trop de classe pour te rabaisser à quémander. Je vais faire de toi mon ambassadrice.
Tu vas reprendre ton histoire à zéro. Des histoires pour pleurer, il y en a des paquets, plus que les journaux et télés ne peuvent en absorber, l’offre a suffoqué la demande et puis la misère, ils ont la leur, eux aussi et elle n’est pas plus jolie, il faut changer de stratégie, répondre pile-poil à l’endroit de leur désir.

Alors tu vas changer ton histoire, y mettre du miel, du bonheur, des rêves, puis nous te catapulterons ambassadrice. Tu seras mon cheval de Troie, tu connais tes classiques. Ma machine est encore perfectible, le dernier essai était tout près d’aboutir, d’ailleurs mon ancien ambassadeur a entrevu un bref instant leur ciel d’azur, mais les lois de la pesanteur lui ont fait la peau. Le prochain catapultage est déjà une réussite car nos ingénieurs concentrent leurs efforts sur l’évasion, l’élévation, l’évasion fiscale est réservée à…

Les trois
A nos dirigeants.

Le passeur
Vive notre ambassadrice !

Les trois
Vive notre ambassadrice !

Ils la déshabillent et lui choisissent un nouveau costume qu’ils lui mettent.

Le passeur
Vas y, reprends ton histoire, mets-y du miel.

Saloua
Je commence par quoi ?

Le passeur
Par le commencement.

Saloua
Nous sommes…

Le passeur
Pourquoi nous ?

Saloua
Parce que je parle de nous.
Mon histoire c’est ton histoire.
Nous sommes faits du même limon fertile.

Le premier migrant
Oh c’est bien la fille d’un curé !

Saloua
Les eaux du fleuve nous ont charriés pour panser les plaines asséchées.
Nous avons roulé, amassé des récits.

Le passeur
Pas de prêchi prêcha, n’oublies pas qu’ils ont peur de nous.

Saloua
Nous ne sommes pas des milliers, nous sommes la multitude.
Nous ne sommes pas affamés, nous sommes la graine.
Nous ne sommes pas assoiffés, nous sommes l’humide.

Le passeur
Sois simple que veux-tu vraiment leur dire ? N’oublie pas qu’à leurs yeux tu n’es qu’une petite merde noire. Pour toi leur mur sera toujours trop haut.

Saloua
Nous ne sommes pas noirs, nous sommes l’éclat de leur lumière.
Ils ne peuvent pas avoir peur de nous.

Temps.

Nous sommes des milliers nous sommes la multitude.
On vient du nord de l’ouest de l’est du sud.
Je suis la blanche je suis l’ivoire
L’indienne métisse la noire
J’arrive
Tu peux toujours construire ton mur plus haut
Je trouvr’ai la fissure rien n’arrête l’eau
J’arrive
Je suis nous je suis tout toi moi
N’aies pas peur de toi crois-moi
J’arrive
Tu peux toujours construire ton mur plus haut
Je trouvr’ai la fissure rien n’arrête l’eau
J’arrive
Et si tu comprends si bien ce refrain
C’est qu’les mots que je slame sont déjà de demain
Les traits de mon visage se dressent fièrement
Comme des montagnes dans ceux de tes enfants
J’apporte avec moi mes sacs noués les pensées les idées
Mots que je grave sans rature, proverbes décalés
Je rime sur les murs les ponts les routes, mots clandestins
Éclatants de couleurs, ils célèbrent un monde qui tourne enfin.

Les migrants en chœur
Nous sommes des milliers, nous sommes la multitude
On vient du nord de l’ouest de l’est du sud.
J’arrive.

Saloua
Là, je quitte la rime, tu souris t’as compris tu ne feras jamais rien sans nous,
Nous sommes la part invisible de ton existence.

Le passeur
Nous sommes la part invisible de leur existence, magnifique, Saloua, magnifique, viens avec moi.

Distribution

Avec : Rachid Akbal, Teddy Bogaert, Mathieu Duval, Christine Guênon, Abdon Fortuné Koumbha Kaf, Marcel Mankita.
Texte et mise en scène : Rachid Akbal
Collaboration à la mise en scène : Camille Behr
Création lumière : Hervé Bontemps
Scénographie : Blandine Vieillot
Création musicale : Clément Roussillat
Costumes : Fabienne Desflèches
Remerciements : Gustave Akakpo, Compagnie Oposito, Martine Abat

Production

Production : Compagnie Le Temps de Vivre
Coproductions : l’Avant Seine / Théâtre de Colombes (92), Tropiques Atrium, scène nationale de Martinique (97).
Avec le soutien de la Direction régionale des Affaires culturelles d’Île-de-France, Ministère de la Culture dans le cadre de l’aide à la production dramatique, de la Région Île-de-France, de l’Adami et du Fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD – PSPBB. Spectacle créé en résidence au Collectif 12 à Mantes-la-Jolie (78), à La Ferme du Buisson, scène nationale de Marne-la-Vallée (77), à la salle Jacques Brel de Champs-sur-Marne (77) et à l’Espace 89 de Villeneuve-la-Garenne (92). Avec le soutien de la Maison des Métallos. Avec l’aide du Tarmac – La scène internationale francophone. Accompagné par le collectif À Mots Découverts

Calendrier

Tournée 2017-2018

18 avril 2018 à 9h30 & 19 avril à 9h30 et 20h à Tropiques Atrium, scène nationale de la Martinique (97)
13 avril 2018 à 20h30 à la salle Jacques Brel à Champs-sur-Marne (77)
22 mars 2018 à 14h30 et 20h30 à Gare au Théâtre à Vitry-sur-Seine (94)
16 février 2018 à 14h et 20h30 à l’Espace 89 à Villeneuve-la-Garenne (92)
14 février 2018 à 20h30 à l’Avant Seine / Théâtre de Colombes (92)
11 novembre 2017 à 18h au Collectif 12 à Mantes-la-Jolie (78)
10 novembre 2017 à 14h au Collectif 12 à Mantes-la-Jolie (78)
9 novembre 2017 à 20h au Collectif 12 à Mantes-la-Jolie (78)