Résidence Marcelle Devaud à Colombes (92)
Sur proposition du Département des Hauts-de-Seine, Pierre Carrive et Rachid Akbal sont intervenus auprès des résidents volontaires de la résidence Marcelle Devaud pour les amener à prendre la parole, entre secrets intimes et tranches de vie. Des récits tissés d’airs de bals, de chansons populaires et de l’histoire de Léo et Pierre.
Portraits des résidents écrits par Pierre Carrive
Pour une valse tout autour de la terre, pour une ballade en avion au dessus de Colombes, pour une danse mexicaine au son de l’orgue de barbarie, il y a…
Il y a René qui n’entend pas bien, René qui lit souvent, seul dans son coin. René préoccupé par sa femme qui est là, pas loin. « Mon premier baiser, c’est celui d’hier » dit il. René qui écoute la main derrière l’oreille, René qui sourit, les yeux fermés quand nous lisons des chansons d’amour. René, le charcutier, qui aime la mer et a parcouru les routes de Normandie à vélo. De Saint Julien sur Calonne à Colombes. C’est à Colombes que se trouvait sa dernière boutique, rue Stalingrad ; sa femme travaillait à ses cotés.
Il est là derrière ses étals. Bel homme. Toujours un léger sourire aux lèvres. Accueillant, aimable mais discret. Il laisse le client venir à lui. Surtout ne pas l’importuner de questions embarrassantes et inutiles ou de publicités tapageuses sur ses produits. La fidélité de ses clients est le gage de la qualité. Il y a bien une préparation qu’il réussi mieux que les autres, mais jamais il ne le dira. Et sa femme est là, qui veille. A la charcuterie, ils parlent peu. Ils se connaissent si bien. Parfois ils se regardent faire l’un l’autre, apprécient la précision du geste. Leurs mains, des mains qui si souvent se sont tenues. Rouler la pâte, malaxer la farce, trancher la viande, battre la sauce, hacher la chair, casser les oeufs, éplucher, peler, dépecer, couper, émincer, débiter puis trier la monnaie. Et le dimanche en été, quand il fait trop chaud pour marcher, regarder main dans la main le tour de France à la télé.
Il y a Andrée, bien droite dans ses bottes, Andrée née à Alger, rue Amam, dans Bab el Oued. Andrée élevée chez les soeurs à cornette. Andrée qui aimait un père qu’elle ne connaissait pas. Andrée qui s’est mariée en tailleur avec un chapeau noir et une voilette au consulat. Lui, c’était un bel homme, gérant de café. Un jour qu’elle était de repos, il a offert sa tournée, ils se sont mariés. Andrée qui ne gaspille pas ses mots, comme l’eau dans les pays chauds. Andrée qui aime les gâteaux au miel et le soleil. Andrée qui est fière de son fils qui travaille à Casino. Andrée qui, à Dijon avait deux caniches et dix perruches dans sa maison pour ne pas oublier l’Algérie.
Il y a Josette, l’acrobate, qui faisait des salto au Québec, Josette qui ne s’en laisse pas conter. Au travail, ils lui donnaient des papiers, elle les regardait, disait si c’était bon, et ils repartaient. Ils auraient pu le faire eux même dit elle! Oui, elle ne s’en laisse pas conter! Au cinéma, quand arrivait le danger, elle tendait ses deux doigts en forme de révolver pour éloigner la peur. Sa mère n’était pas commode non plus, quand Josette rentrait du ciné, celle ci la regardait, l’oeil noir : « C’est qui qu’a payé, si c’est ton p’tit capain (c’est comme ça qu’elle disait), ça va. » Ils était cinq à la maison, Josette était la deuxième, fallait tenir son rang! Il y régnait un joyeux désordre, des enfants qui se disputent, jouent et sautent dans tous les sens et parfois la mère excédée qui élève la voix pour calmer son monde. Mais cela produit l’effet inverse, jusqu’à ce que le père s’en mêle.
Et Josette qui me dit: c’est bien que vous soyez là, ça nous fait de l’air dessous les bras et dessous les jambes. Décidément, Josette…
Il y a Denyse, Denyse avec un y, Denyse Lê Quang Huy, c’est bien un nom comme ça, c’est trois mots. Denyse qui est née au Vietnam, mais où ? On ne lui dit pas tout. Tant de mystères. Au moins on ne s’encombre pas de souvenirs. Denyse qui est toujours comme un oiseau sur la branche, qui dit « j’étais seule vis à vis de ce que je suis ». Denyse qui prend tous ce qui est nouveau comme un cadeau, pour qui c’est toujours la première fois. Denyse qui prononce sans cesse le mot zéro avec un étonnant détachement. Denyse qui ne se souvient de rien, devant elle, c’est un miroir, l’image est floue, mais sèche, lumineuse. Et Denyse qui soudain quand Rachid prononce le mot arabe, bab, la porte, se souvient alors de ce mot, puis d’autres, de cette langue qu’elle parlait en Egypte où elle a vécue.
Ses yeux brillent au fur et à mesure que viennent les mots de là bas. Et le reflet dans le miroir s’anime et se colore…
Il y a Solange de Rivière Salée en Martinique. Solange, la fille d’un charpentier au caractère bien trempé. Solange qui a suivi son mari militaire de garnison en garnison, jusqu’en Allemagne. Son mari dont elle était fière, même s’il n’avait pas toujours les yeux dans sa poche. La douce Solange, bonne élève à l’école, bonne camarade, toujours là pour apaiser les disputes. Solange qui n’aime pas qu’on fasse des histoires. Solange qui a travaillé à l’hôpital, toujours discrète, attentionnée. Solange coquette et coquine. Quand elle se lève le matin, tout de suite regarder le temps qu’il fait pour choisir sa tenue. Et le carnaval! Quelle joie quand tout est permis! Méfiez vous de l’eau qui dort disait l’institutrice avec un sourire complice. Solange qui a fait les quatre cents coups avec sa copine Maryse. Solange qui voudrait tant être chez elle avec sa grand -mère, sa mère et son père, à Rivière Salée, et toujours en été…
Il y a Michel, Michel Serraud, comme l’acteur. Michel, l’aviateur au regard malicieux, celui à qui on ne la fait pas. Michel à qui une femme a posé un lapin une fois, et a juré qu’on ne l’y reprendrait plus. Toujours célibataire, il attend encore. Michel, élevé à la campagne, en Bretagne, par son grand père, Pierre, facteur receveur, qui était invité à tous les mariages. Quand Pierre allait au jardin, le petit Michel le suivait, et jardinait à ses cotés. Ce qu’il préférait Michel c’était planter pour le bonheur de voir pousser. Il n’y avait pas de ciné, pas de cirque, mais chaque été aux moissons, il y avait le spectacle de la batteuse, cette grande machine bruyante, faite de fer, de courroies et de rouages qui se posait dans la cour de la ferme et faisait de la poussière. Michel qui revient de la mort, avec son poumon perforé et sa clavicule cassée après son accident de vélo. Michel qui a pu annoncer un jour à son père qu’il avait réussi son brevet de pilote.
Michel qui se tient là, bien droit, face au terrain d’aviation. Les avions blancs sont bien alignés sur la piste, prêt à partir. Michel hésite entre un Piper club ou un biplan biplace…
Il y a Josiane, madame ici et un peu là bas. Josiane qui a le sens de la répartie et aime rigoler. Josiane qui mène la danse et bat la mesure. Josiane qui donnait ses rendez vous amoureux au Sacré Coeur, les recoins y sont nombreux. Josiane qui quand son mari fautait, prenait le martinet et lui mettait sur le cul. Josiane la starlette du château de Versailles, la déléguée du personnel qui n’a pas sa langue dans sa poche. Josiane qui travaillait dans une cafétéria, dans la Creuse. Josiane qui virevoltait, au coup de feu de midi, avec toujours un bon mot pour l’ouvrier affamé, sachant remettre en place celui à la main trop leste, la voix forte pour envoyer les commandes et se faisait engueuler par son patron quand elle offrait des cafés à tout le monde, le jour de son anniversaire. Et quand il n’y a plus personne, quand il n’y a plus que des miettes sur les tables et de la sciure au sol, alors elle s’assoit pour reposer ses jambes un peu lourdes et le sourire aux lèvres elle chantonne en pensant aux joyeux tours qu’elle jouera à son mari à son retour.
Il y a Jacqueline, née à Toulouse, la copine de Josiane; Ensemble, elles ont le rire facile. Elle était sténo dactylo à la Cie Electromécanique, rue du Rocher à paris. Elles étaient plusieurs, rivalisant de coquetterie, dans la même salle, chacune à leur machine. Jacqueline tapait redoutablement vite.
A dix sept heure cinquante sept, elles avaient toutes enfilé leurs manteaux et attendaient assise à leur place, le sac sur les genoux, que l’aiguille de la grande horloge au bout de la salle soit sur le six. Alors elles se levaient et quittaient les bureaux en papotant gaiement.
Jacqueline qui se souvient des ses visites en Ariège où se trouvait sa famille et qui chaque matin ouvre les rideaux avec l’espoir de la clarté du soleil.
Il y a Annick de Saint Laurent de la Salanque qui sait danser la Sardagne. Annick qui déteste faire la vaisselle et adore enseigner. Annick la professeur d’anglais, l’oeil vif, la curiosité en éveil. Annick qui a rencontré l’homme de sa vie à un bal d’étudiant. Il m’a regardé, je l’ai regardé, on s’est aimé.
Chouette, c’était vite fait à dit René. Ils se sont mariés sur la tour Eiffel. Ils sont arrivés en limousine, avec chauffeur. C’est lui, le chauffeur qui a fait la photo devant la tour. Il faisait froid, mais beau. Il y avait plus de cent personnes. Elle était là, majestueuse dans sa longue robe blanche, une capeline en plume de cygne sur les épaules, une toque sur la tête, aussi de plumes blanches et un sourire éclatant, avec tout Paris à ses pieds. Ils dansaient un rock endiablé, lui avait des airs d’Alain Delon dans son smoking neuf et elle la grâce de Romy Schneider. Les copains, ivres, lançaient des plaisanteries en anglais et la mère, folle de joie, répondait en catalan. C’était un vingt décembre. Ils sont partis aux Canaris, en voyage de noces. Là bas il n’y a que des cailloux, mais aussi du soleil, et lui, il a la peau si douce.
Il y a Mauricette, Mauricette la bretonne ronde et joyeuse. Mauricette qui se souvient avec gourmandise. Qui se souvient de sa grand mère qui nouait les gerbes de blé, qui se souvient de son grand père qui la faisait sauter sur ses genoux en chantant une comptine bretonne (oni gausse gausse gausse oni gausse), qui se souvient des chevaux dans les champs, des tranchées que l’on creusait pour s’asseoir devant les nappes posées à même le sol lors des grandes fêtes, des cimetières où les trois quart des tombes portaient le même nom, Mauricette qui se souvient des lutins dans les champs à trois coins, de la rivière de Kergroas et du canal de Nantes à Brest, Mauricette qui se souvient avec appétit, pour continuer, encore.
Et puis il y a Pierre qui tourne la manivelle, Rachid qui fait le zouave et Fatia qui veille…
Ateliers Intergénérationnels : séniors et collégiens (5e)
Ville de champs-sur-Marne (94)
A la demande des services culturels et de solidarité de la mairie de Champs-sur-Marne, qui souhaitaient proposer un projet transversal autour du vieillissement, de la culture et de la jeunesse, nous avons proposé un atelier théâtre partagé entre retraités volontaires de la commune et une classe de collégiens. Mais pour qu’advienne le jeu, des temps de rencontres et de découverte mutuelle ont été indispensables (lecture théâtralisée du roman en cours d’adaptation, interview croisée des jeunes et des adultes).
le bilan de Rachid Akbal
J’ai décidé de faire participer tout le monde et pour cela j’ai choisi le chœur comme exercice théâtral.
Les séniors se sont prêtés avec gourmandise à toutes les propositions et les collégiens leurs ont répondu avec énergie et plaisir.
Ce mélange entre les générations a produit de beaux moments, surtout quand nous avons abordé des situations contemporaines et quotidiennes.
J’ai aussi inversé les rôles, créant des situations insolites et un regard touchant comme quand un adolescent jouant le rôle d’un adulte prend la main d’une adulte âgée qui joue elle-même une enfant égarée.
Les adultes ont accepté rapidement d’être souvent des leaders, des coryphées quand on créait des groupes sur scène.
Ils ont surpris les plus jeunes par leur disponibilité, leur capacité a jouer sans retenue et leur enthousiasme. Ils ont aussi apporté leur regard sur le monde d’hier et d’aujourd’hui sans être des personnes d’un autre temps. Ils ont été simples et justes.
Les jeunes ont été exemplaires, ils ont été respectueux, attentionnés, aimant, touchant. Ils ont été désireux de montrer le meilleur d’eux-mêmes.
Classe à PAC Théâtre : élèves de 6e et 4e
Collège Gambetta et Pierre Mendès France à Paris (75)
Le bilan du Tarmac, scène internationale francophone
Chaque classe était divisée en deux groupes guidés par Pierre Carrive dans la pratique théâtrale autour de Mon vieux et moi. Les élèves ont été conduits dans différents exercices permettant d’aborder les bases du jeu : confiance en soi, regard sur les autres, prise en compte du groupe, jeu du corps, développement de l’imagination. Puis Pierre Carrive a fait jouer les élèves deux par deux, selon un scénario de leur choix, autour de la question de la vieillesse. Les élèves ont ainsi découvert un espace de liberté et d’improvisation. Ils ont aussi été amenés à s’interroger sur le vivre-ensemble, l’acceptation de la différence, du handicap.
A l’issue de cet apprentissage du jeu théâtral, chaque groupe a dû scénariser et monter une scénette : une sortie en bus de la maison de retraite pour l’un, l’anniversaire d’un centenaire de la maison de retraite pour l’autre. Chaque groupe a assisté à la performance de l’autre groupe. Les élèves ont dû se confronter à l’expérience de jouer devant un « public ». Ce moment, qui a marqué la finalité du projet, leur a particulièrement plu.
Les élèves ont gagné en assurance grâce aux exercices de jeu, d’improvisations.
Placer leur corps, leur voix, prendre conscience de l’espace, écouter le partenaire dans les improvisations à plusieurs sont des notions qui ont été acquises rapidement grâce à l’appétit que les élèves ont manifesté pour le projet. Ils ont évidemment, au fil des ateliers, amélioré leurs jeux, sont devenus plus précis dans leurs intentions et ont appris à construire une scène. Leur imaginaire a réellement été mis au travail. La thématique de l’atelier autour de la vieillesse a permis au groupe de se poser des questions sur la condition des personnes âgées dans notre société et a donné lieu à de nombreux débats.
Certains élèves, en difficulté scolaire ou grands timide, se sont révélés grâce à ce dispositif et ont donné à voir des facettes réjouissantes de leurs personnalités : force de proposition, implication, exigence. Par ailleurs, l’intégration des deux élèves d’ULIS a été une réussite. Si Louis était déjà familier du jeu théâtral, Mustapha, en revanche, découvrait cet univers. Il a apprécié se retrouver dans une salle de spectacle, un « vrai théâtre d’adultes », et de susciter le rire par ses talents d’improvisation.
Observer le groupe se fédérer, prendre au sérieux mais avec beaucoup de plaisir notre proposition a été un des aspects les plus positifs de ce projet. « Drôle », « différent », « enrichissant » sont les adjectifs que les élèves nous ont donnés le plus souvent pour résumer cette expérience.