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Empreintes

Empreintes

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Continuer les rencontres avec les anciens combattants, partager avec eux des moments de vie quotidienne, échanger autour de l’histoire de leur vie et de la grande Histoire de la guerre d’Indochine – voilà l’objectif de la présence renouvelée des artistes au sein de la résidence Mechti.

Rendre hommage et faire connaître les parcours de vie si singuliers des anciens combattants marocains installés à la résidence Mechti à Bordeaux. Faire entendre la voix de ces personnes, qui pour certaines racontent leur histoire pour la première fois, partager leurs témoignages uniques à la portée historique, créer du lien entre personnes de cultures et d’âges différents et rompre l’isolement. A travers ces récits de vie, ce sont la transmission culturelle, l’altérité, la famille, la lutte contre les inégalités, le travail et la guerre qui transparaissent.

De ces moments rares est né le désir de laisser une trace de leur parcours et de leur présence à Bordeaux, un livre illustré de leurs silhouettes griffonnées.

Texte : Rachid Akbal
Illustrations : Laetitia Vassal
Editions images plurielles
Production : compagnie Le Temps de Vivre
Coproduction : Chahuts (Bordeaux)
Avec le soutien de la Fondation de France, d’Aquitanis.

En partenariat avec l’Association Sens, Aquitanis-Résidence Mechti, l’école des Menuts.

Note d'intention

Pourquoi une suite ?
par Rachid Akbal

Les premières rencontres réalisée à la résidence Mechti étaient axées sur le thème de l’utopie et plus particulièrement sur la question « Et si c’était à refaire ? ».

A la fin des restitutions du Journal de bord, les messieurs voulaient récupérer une trace comme ces feuilles blanches sur lesquelles étaient écrits leurs noms. Cette première plongée dans les arcanes de la mémoire a révélé où se situe pour eux la question de l’héritage : si c’était à refaire, ils referaient sans doute la même chose. Ce qui doit changer pour eux ce n’est pas la guerre mais la négation de leur participation, le silence qui entoure leur histoire. C’est comme si certaines histoires n’avaient pas d’histoire, comme si elles n’avaient pas existé. A la fin de la restitution, un des participants a ainsi dit « Au moins, notre histoire aura été entendue ».
Aujourd’hui, en poursuivant le projet, mon désir est de trouver une forme qui puisse la rendre audible partout, la faire circuler encore plus auprès d’un plus grand nombre de personnes. Car la mémoire n’existe que si elle est partagée, racontée, diffusée, que si elle infuse au point de devenir un peu de notre histoire à tous, comme ces souvenirs si souvent entendus qu’on ne sait plus très bien si on les a vécus ou si on nous les a racontés. Je veux continuer à tirer le fil de ce « je » choral que j’ai déployé dans Journal de bord, un « je » qui raconte la grande Histoire vécue par tous et qui reste pluriel, commun. Un livre, témoin permanent et intemporel, et un spectacle, éphémère et émouvant, seront notre monument aux oubliés de l’Histoire de France.

Pour cela, je souhaite poursuivre l’écriture du journal de bord mais aussi le travail de traduction en langue arabe engagé lors de la seconde restitution. Pour valoriser encore plus les résidents et faire que leur histoire reste en mémoire des auditeurs, je veux travailler avec un illustrateur qui pourrait dessiner des portraits d’eux en m’accompagnant lors des rencontres et en live lors des restitutions.

Pour cette réécriture il s’agit aussi d’aller plus loin et de dépasser le souvenir pour arriver à l’ici et maintenant. Pour cela, je veux ancrer davantage le journal de bord dans l’espace physique de la résidence. Jusque-là nous avons beaucoup parlé du passé et de la mémoire, de la guerre et du Maroc mais je veux aussi les faire parler de Bordeaux, de leur vie quotidienne à la résidence Mohammed Mechti. Cette dernière accueille en effet de jeunes travailleurs qui sont appelés à être de plus en plus nombreux dans les années à venir. A travers ce projet, je veux donc faire de la résidence Mohammed Mechti un lieu de mémoire et d’histoire vivante : quelle histoire s’apprête à commencer après eux ? comment la préparer ? comment lui offrir une place ?

Je veux partir de la figure de Mohammed Mechti qui a donné son nom à la résidence : cet ancien combattant marocain, né en 1919, engagé en 1939, est arrivé en France en 1997 et est décédé en janvier 2010. Ce faisant je cherche à répondre à un questionnement qui rejoint mes préoccupations d’homme de théâtre et le processus de création personnelle que j’engage actuellement sur la question des harkis : peut-on être un ambassadeur de mémoire malgré soi ?

La fabrique des utopies

La fabrique des utopies
Récits de vie et utopies : métamorphoses

Résidence d’écriture et rencontres auprès des anciens combattants de la résidence intergénérationnelle Mohamed Mechti et des femmes de l’association Promofemmes suivie d’une restitution participative sous forme de journal de bord.

Note d’intention
D’une manière générale, les spectacles que nous créons sont avant tout des projets que nous partageons et construisons avec des lieux, des collectivités et surtout des publics.
Les actions culturelles que nous développons ont la spécificité d’être toujours inscrites au sein de processus de création. Avant, pendant ou après les créations, les retours et les regards des habitants de tous âges et aux parcours extrêmement divers nourrissent notre démarche de créateurs. Au-delà des formes habituelles de rencontres (répétition publique, discussion, masterclasse…), chaque création appelle l’invention de dispositifs de médiation qui permettent l’émergence d’un langage partagé sur les œuvres. Nos projets s’appuient sur une connaissance fine des territoires où nous intervenons et des sujets que nous abordons. La mémoire et l’Histoire des lieux, des faits, des personnes est, à ce titre, un préalable nécessaire au déploiement de notre action publique comme de notre geste artistique. Questionner sans relâche les évidences, les simplifications est notre manière de contribuer à la fabrique d’un autre récit sur le monde contemporain, qui offre une place à chacun et des interstices pour se rencontrer. Cette fabrique des histoires communes que nous tentons de rendre effective à travers nos différents projets de médiation s’appuie sur la question de l’altérité, du regard posé sur soi-même et sur les autres en partant du postulat suivant : « eux c’est nous ».

Avec La Trilogie algérienne, Rachid Akbal pose un regard sur l’immigration algérienne en France et sur le rapport ambigu et complexe qu’entretiennent ses enfants avec le pays d’origine et le pays d’adoption. Les deux premiers épisodes qui la composent, Ma mère l’Algérie et Baba la France seront nos points de départs artistiques pour entrer en relation avec les anciens combattants de la résidence et les femmes de l’association Promofemmes.

Au cours des rencontres, nous nous attacherons aux points de rencontre universels entre leur histoire et celle racontée dans La Trilogie algérienne : en effet les résidents sont majoritairement marocains tandis que les femmes ont des origines très diverses.

Dans Ma Mère l’Algérie, la belle jeune fille de l’histoire symbolise toutes les femmes qui se battent contre l’injustice et l’obscurantisme. Cette mère représente aussi toutes les mères de l’immigration : elles sont le courage et l’amour, porteuses en grande partie de la mémoire. Ce spectacle aborde aussi l’amour et la poésie propres à la terre natale. Pour ma mère, sa terre natale n’était que poésie : c’était la neige et les oranges dans la neige, c’était les vergers en fleurs et l’odeur des fleurs, c’était les durs travaux des champs, les champs qui résonnent de voix cristallines et chantent les héros révolutionnaires.

Baba la France met en valeur la bravoure des travailleurs exilés volontaires pris dans les tenailles de la guerre d’Algérie sur le sol français. Ces hommes doublement et injustement frappés par la conclusion d’une guerre qui leur donne un pays et les transforme définitivement en travailleur étranger (avec l’indépendance, les Français musulmans peuvent acquérir la nationalité française ou devenir citoyen algérien). La guerre a imposé le silence, ce silence a cousu les bouches des pères et laissé les enfants sans réponses.

Ces deux thématiques – la transmission culturelle et la lutte contre les inégalités pour les femmes, le travail et la guerre pour les hommes – nous semblent à même de nourrir des discussions profondément ancrées dans les problématiques rencontrées par les résidents.

Pour les dépasser et faire se rencontrer les deux groupes, nous aborderons enfin la question de l’utopie : et si c’était à refaire ? Comment l’utopie a été présente – ou pas – dans leurs parcours de vie, comment elle l’est dans leurs vies d’aujourd’hui, dans l’héritage qu’ils veulent laisser, dans les traces de leur passage ?

Comment ?
Pour la prochaine création de la compagnie, J’avais oublié que le train s’arrêtait à Aulnay-sous-Bois, Rachid Akbal va mettre en jeu le personnage de Kaci, son alter ego déjà présent dans la Trilogie algérienne. Nous allons continuer à travailler dans les interstices entre fable et réalité et à polir l’adresse au public avec l’envie de confronter l’espace scénique à l’espace réel de la ville.

Ce RER Movie à travers la banlieue, sera un récit à la première personne, une enquête qui va conduire le personnage à la recherche du jeune homme rebelle qu’il était à Aulnay-sous-Bois, au tournant des années 70-80, alors que l’on rêvait d’émancipation malgré la guerre froide. Aujourd’hui, la transformation des quartiers, les injonctions à la mobilité, à la mixité sociale, le rattachement de tous au cœur de la métropole est un enjeu essentiel du contrat social à venir.

Grâce à la semaine passée à la résidence à la Résidence Mohammed Mechti, Rachid Akbal va pouvoir confronter son écriture à la vie quotidienne des résidents tout en libérant leurs paroles. L’objectif n’est pas de nourrir directement son travail de création mais plutôt de mettre en abîme sa présence parmi eux. Les rencontres sont conçues comme des aller-retours entre l’écriture du futur spectacle, les histoires racontées dans les premiers épisodes de La Trilogie algérienne et les retours des résidents sur cette matière qui leur sera donnée par le biais d’histoires, de discussions, de lectures.

A partir de ces échanges, Rachid Akbal va écrire un journal de bord qu’il racontera et jouera. Pour cette restitution, il pourra être accompagné en live d’une personne qui peut, par moment, traduire le texte à ses côtés en plusieurs langues ou d’un dessinateur qui illustre en direct le récit et les visages de ceux qui l’écoutent. Les participants seront spectateurs mais ils n’auront pas le même statut que les autres spectateurs invités pour l’occasion : Rachid Akbal favorisera une forme interactive qui permettra de les solliciter pour faire entendre leur voix depuis l’assistance.

Journal de bord

TEXTE ÉCRIT AU COURS DE LA PREMIÈRE RÉSIDENCE

Les voix racontent 
Je m’appelle Karafli Ahmed, je m’appelle Mazouz Abdelkader, je m’appelle Zaïd Alhou, je m’appelle Zakaria Hassan, je m’appelle Mohamed Baïdi, Bouheouira Difi, Saïd Houadsi, Qitot Mimoun, Sam Thami, je viens de Beni Mellal, je viens de Khemisset, je viens d’Oumnasss, de Tazaa, de Tilouguit, nous venons de tous les coins du Maroc et d’autres d’Algérie.
Nous sommes pour la plupart marocains, et tous des anciens combattants de l’armée française, il y a aussi notre ami Monsieur Baldé qui vient du Sénégal, nous vivons à Bordeaux, quartier Saint Michel dans la résidence Mechti.
De 1947 à 1954 la France a fait la guerre en Indochine. J’avais 17, j’avais 18 ans, j’avais 19 ans, j’avais 20 ans et nous sommes partis à la guerre. Ce que Monsieur Rachid va vous raconter est l’entière vérité enfin c’est Monsieur Rachid qui a la responsabilité de ce qu’on lui a dit.

Chez nous
Je suis né au Maroc pendant le protectorat français, quand la guerre d’Indochine a commencé, je me suis engagé volontaire, forcé, c’est à dire je n’avais pas vraiment le choix, il n’y avait pas de travail, le travail de la terre ne suffisait pas à nourrir une famille, pour la plupart nous ne sommes pas allés l’école, il n’y avait pas d’école et pas de routes pour monter dans les douars de la montagne, et nos vies familiales n’étaient pas faciles.
La guerre a démarré, la France, comme à chaque guerre avait encore besoin de nous, ils sont venus nous recruter pour nous envoyer loin de chez nous, nous étions jeunes et nous ne comprenions rien à la vie, c’était bien pour sortir de la misère, et gagner de l’argent.

L’instruction militaire
Alors j’ai quitté mon village, le douar, j’ai dis au revoir à ma famille et je suis parti pour la Caserne. J’ai fait l’instruction militaire pendant 6 mois. Moi j’ai fait l’instruction rapide pendant 3 mois. De jour et de nuit nous faisons des exercices pour nous préparer au combat, une formation forcée, ramper dans les oueds, jour et nuit, des exercices et encore des exercices. Puis on nous a rassemblé dans les grandes viles du pays, moi j’étais comme beaucoup d’entre nous à Casablanca, des contingents de 800 hommes, partout y avait beaucoup de berbères comme la plupart d’entre nous : les rifains, les amazighs, les chleuhs.
On nous a préparé à la guerre mais nous on ne savait pas ce que c’était la guerre.

Le voyage
Nous sommes partis de toutes les casernes du Maroc des milliers, souvent les familles sont venues nous dire au revoir et nous souhaiter le retour en pleurant. Moi j’ai embarqué depuis Casablanca sur un bateau, certains sont partis à Alger comme Hassan Zacharia, et d’autres à Oran pour embarquer sur le Saigon et certains comme moi direction Bordeaux, déjà Bordeaux, nous sommes restés 3 jours à manger des repas froids, et à attendre, puis nous avons pris le train pour l’Allemagne, encore un long voyage, mais ce n’était rien à côté de ce qui nous attendait. En Allemagne nous somme allés dans une caserne française pour recevoir nos armes, moi je suis resté 6 mois pour apprendre le maniement des armes, puis on est reparti pour la France.

La traversée
A Marseille, on a pris un immense bateau le Pasteur, nous on dit le Bastor, on a voyagé 16 jours, Comme il y a beaucoup trop de soldats sur le bateau, on dort dans des hamacs, c’est bien comme ça on ne sent pas le roulis du bateau. On a fait une première escale à Port Saïd, en Egypte et à la sortie du canal de Suez, là, le bateau il a pris sa vitesse de croisière, le jour le bateau prend son temps, mais la nuit c’est comme un TGV. On a changé de tenu, on a mis nos shorts et nos chemises courtes. Comme il fait chaud, la nuit, il y en a qui dorment sur le pont. A Djibouti on a fait la deuxième escale. Djibouti c’est une base militaire française, c’est une ville pleine de poussière, c’est pire que chez nous. Puis on est entré dans l’océan Indien, puis encore deux escales à Colombo et à Singapour.
Au bout de 16 jours enfin, on est arrivé à cap Saint Jacques à Saigon. On nous a débarqué avec des petits bateaux.

Saigon
Chacun d’entre nous a rejoint son unité : le 5ème Tabor RTM (régiments de tirailleurs marocains), le 3-4ème RTM, le 41ème régiment de transmission.
Il y a les goumiers, les spahis, les RTM, pour les marocain, les tirailleurs sénégalais, qui viennent de plusieurs pays d’Afrique noire et les tirailleurs algériens. Toutes les colonies sont là, il y a même des allemands des anciens SS qui ont fait la guerre contre la France, ils sont maintenant à la légion étrangère.

Le Tonkin
On nous a emmené dans le Tonkin, c’est là-bas la guerre. A Hanoï, on nous a réparti dans des petites unités de combats. On nous donne une gamelle, un bidon, une couverture, une moustiquaire, une paire de cisaille, une pelle pioche américaine, tout le matériel vient de l’Amérique et une cartouchière. Demain on part pour la montagne et la brousse. Ils disent que nous les marocains, on est très fort pour marcher dans les montagnes, et on ne se fatigue jamais.

Journal de guerre 1
Nous sommes dans la brousse, il faut tenir un petit poste. Si tu n’as jamais vu la forêt c’est quelque chose, tu coupes les branches des arbres, il pleut et ça repousse, c’est tout vert, il pleut toujours. La nuit, tu dors pas à cause des grenouilles et je ne te parle pas des moustiques. Faut creuser une petite tranchée pour se faire sa place, c’est déjà une tombe.
Il faut tenir le poste, faut pas se laisser surprendre par les viets. Nous les marocains on les appelle les chinois. Il y a avec nous celui qui porte un poste radio émetteur récepteur SCR 300. Il existe une radio qui émet jusqu’à la France. Sans la radio on est seul au monde dans la brousse.

Journal de guerre 2
Aujourd’hui on nous a envoyé pour ravitailler une petite unité dans la brousse qui tient un poste avancé, il faut qu’on marche pendant 10 kms, ici tu fais 500 mètres en une heure.
Avant de quitter le poste, on a tracé sur le sol un grand cercle où les avions nous ont parachuté le ravitaillement, et nos fameuses rations 5, 5 parce qu’on doit tenir 5 jours avec notre ration. C’est difficile d’avancer, les chinois, ils ont miné beaucoup de chemins, c’est pour ça qu’il faut éviter les endroits tout plat, ils mettent des pièges partout, si tu tombes dans un trou il y a des pointes qui te transpercent. Si ce ne sont pas les pièges, ce sont les sangsues dans les rivières et les moustiques qui te sucent tout ton sang. Il faut beaucoup de courage pour avancer.

Journal de guerre 3
Après avoir ravitaillé le poste avancé on est reparti par un autre chemin. On a posé notre campement tout près de la forêt, on est entré dans un village les gens sont partis dès que nous sommes arrivés, les chinois ont peur de nous les marocains parce que nous avons la tête rasée. Heureusement, ils n’ont pas tout emporté avec eux, comme ça on va avoir de la nourriture. On est arrivé à bout de la ration 5 : un paquet de biscuit, du café, du sucre, du fromage, des boites de sardine, de corned-beef, de la confiture, et des gauloises. C’est la nuit, on ne bouge pas, il fait tout noir. On s’attend toujours à une attaque des chinois. Ils peuvent surgir de n’importe où. On est envahi par la peur de mourir.

Journal de guerre 4
On est revenu à notre poste. Mais c’est là que les chinois nous ont attaqué. Ça canarde sans arrêt surtout la nuit, les chinois ils attaquent la nuit. Ils avancent comme des termites, ils creusent la terre et ils avancent avec leurs pelles, ils se cachent dans les tranchées, toi tu dois viser juste, c’est la tête que tu dois viser, c’est la tête qui dépasse. Les chinois c’est la forêt qui avance vers toi. Avec leurs hauts parleurs ils crient en arabe que nous les marocains on ne doit pas combattre avec les français que nous aussi on doit chasser les français de chez nous. Au petit matin il y a des gars de chez nous qui ont disparus. Ils sont partis dans la brousse avec les chinois. Partout il y en a qui désertent même les français.

Journal de guerre 5
On est parti en mission, on doit détruire un dépôt de munition dans le camp des chinois.
Il a fallu escalader une falaise. On a traversé des rivières en pirogue. On a trouvé le camp et on a tout détruit. Au retour on est tombé sur une embuscade. On a mis trois jours pour revenir. On a perdu un goum et on a 10 blessés.

Fin de la guerre
Le retour ça y est, on rentre chez nous, on est vivant. Il y en a parmi nous qui aurait bien continuer le combat, nous sommes des guerriers, et on gagne de l’argent, alors pourquoi s’arrêter. Moi je suis content de rentrer au pays, moi aussi je ne veux plus tuer. Avant d’embarquer comme à l’aller on touche une prime de mal de mer.
Comme à l’aller il va y en avoir beaucoup comme moi qui vont être malade.

Retour au pays
On est chez nous, la belle vie, moi je vais rester à dormir à la maison, moi je vais rester deux mois au pays et je repars m’engager en France, moi je retourne à mes champs.

Mon journal
Je vais juste vous parler d’Hassan Zacharia, d’Ahmed Karafli et de Mazouz Abdelkader.
Ces trois-là qui ont des profils complétement différents qui reflètent le parcours de tous les autres.

Hassan Zacharia, c’est le plus religieux de tous. Il est toujours habillé en djellaba, petite calotte. Il use à souhait de référence religieuse. Il commence et termine ses phrases par des invocations à Dieu. Halima me dit qu’il a le cœur sur la main, il est toujours là pour aider les autres, et que bien souvent, il lui amène des personnes sans toit. Sa vie se passe entre la mosquée et la résidence. J’ai déjà écrit qu’il était dans les transmissions. A force de lui demander pourquoi il s’est engagé, il nous a fait cette confidence. Il faisait parti d’un groupe de religieux, il était dans une confrérie, et un général un jour a débarqué et leur a proposé soit la prison soit de s’engager. Comme il était lettré, il s’est retrouvé dans les transmissions.
Il était la plume pour les courriers de ses frères d’armes, ses compatriotes illettrés. Quand je lui demande comment, lui qui aime son prochain, lui l’homme de religion, c’est à dire qui entre en lien avec les autres, a -t -il pu aller combattre des hommes qui ne lui avaient rien fait. C’est Dieu qui décide de tout, voilà sa réponse. J’ai beau revenir là-dessus. Il n’en démord pas. Et si c’était à refaire ? La même réponse. C’est Dieu qui indique le chemin aux hommes. Il a repris sa vie après l’Indochine, le commerce et la mosquée, Jusqu’à la décristallisation, il est arrivé à Bordeaux dans les années 2000.

Hamed Karafli
Avec sa belle barbe blanche, toujours bien habillé, le costume bleu, la chemise blanche, la cravate rouge et les bretelles rouges. C’est normal Ahmed a tenu un commerce en bonneterie. Il est très assidu aux entretiens. Pour lui c’est très important de raconter ce qu’il a vécu, il prend de l’importance aux yeux des autres quand il raconte son passé. Il a raconté son passé aux siens, mais pas encore aux autres, en plus je vais raconter son histoire.
Son histoire, va prendre une nouvelle réalité. Ce se sont plus des souvenirs, mais c’est un témoignage pour les autres.
Il ne comprenait rien à la vie quand on l’a engagé. Je dis on l’a engagé, car lui aussi n’avait pas d’autres horizons que servir l’armée française pour sortir de la misère.
Tout était neuf à ses yeux pendant ces années. Faut voir comme il écarquille les yeux à l’évocation de son voyage en bateau jusqu’à Saigon, 25 000 km, l’arrivée, et du pont regarder la Baie de Saigon. Saigon, le petit Paris, les bars, les filles ??? Je ne leur ai pas posé la question. Ce n’est pas une question de respect, mais je pense qu’il faut garder des zones d’ombres. Ce sont des vieux maintenant, faut bien qu’ils conservent de beaux souvenirs rien que pour eux. Quand je lui demande ce qu’il faisait en ville, ses yeux brillent, il fait une moue expressive. Car après dans la brousse pour Ahmed, ça a été une autre histoire.
Quand je lui demande si cela l’a changé, il ne sait pas l’exprimer, mais oui la guerre en a fait un tout autre homme, Il a reçu la médaille de Guerre.
Il fait une moue quand on parle du combat et de la mort. Lui il a tué c’est sûr, lui il a combattu pour rester en vie, car vers la fin de la guerre ils n’ont fait que se défendre.
Ils étaient là pour tuer du Viêt.
C’est pour cela que c’est important de mettre des mots sur tout cela.
Au retour après un temps de permission, la belle vie, il s’est engagé dans l’armée royale marocaine, et il a bien fait car pour tous ceux qui comme lui ont servi dans l’armée française à l’indépendance du Maroc ont été l’objet d’un rejet et d’une violence de leurs compatriotes. Ils avaient servi dans l’armée d’occupation. Il a fait 8 ans avec l’armée marocaine et ensuite la retraite. C’est là qu’il a ouvert un commerce en bonneterie. Et un jour, en 2006, il est venu comme tous les autres, dès que l’information s’est répandue il est arrivé à Bordeaux, pour percevoir ses droits.

Mazouz Abdelkader. C’est lui qui voulait continuer la guerre.
Lui est devenu un homme (avec toute la brutalité guerrière) au combat.
Peut être qu’ainsi il pouvait montrer qu’il valait quelque chose aux français.
Il n’a pas renoncé, il n’a pas déserté, il y en a beaucoup des marocains qui ont déserté m’a -t -il dit. Ils sont restés en Indochine après et il se sont mariés avec des vietnamiennes et ils ont eu des enfants.
Il me raconte qu’une fois dans un hôpital au Maroc, il y avait un médecin qui parlait arabe et qui avait des yeux bridés, les gens étaient étonnés, lui, il disait : je suis marocain.
Après quelques mois passés avec sa famille à son retour d’Indochine, où Il a reçu trois médailles, celle de Guerre, la coloniale et la commémorative, Mr Mazouz s’est engagé dans l’armée française (accord avec le Royaume du Maroc et la France pour garder un corps de tirailleur), Besançon et Dijon jusqu’en 1965. Puis intégration dans l’armée marocaine, puis la retraite. Et le reste c’est la même histoire, un jour il a entendu qu’il pouvait aller en France recevoir ses droits…

Les lettres

LES LETTRES

Chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix. C’est un frère de Casablanca qui écrit les lettres à tous ceux comme moi qui ne savent pas écrire, que Dieu le récompense, et lui accorde une place près de lui. Nous sommes à Bordeaux, c’est une très grande ville, mais nous ne sortons pas de la caserne. Nous mangeons bien et on est bien dans cette caserne, on manque de rien.
Je vous laisse dans la main de Dieu.

Chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix.
Je n’ai pas reçu de vos nouvelles, mais c’est normal nous avons quitté la France. Nous avons traversé la France en train. Nous sommes arrivés en Allemagne. C’est une très grande caserne. Il fait très froid, nous on vient de la montagne, on a l’habitude, certains français ils pensent qu’on ne connaît pas le froid, et qu’on a que du désert et du sable chez nous. Nous apprenons le maniement des armes, MAS 49. Nous allons restés longtemps en Allemagne mais on ne sait pas combien de jours. Dès que je touche ma solde je vous envoie de l’argent.
Je vous laisse dans la main de Dieu.

Cher fils,
Enfin on reçoit de tes nouvelles, deux lettres à la fois. Nous n’étions pas inquiets pour toi, on a confiance à la France. Tu vas bien Dieu merci, la santé c’est le plus important.
Ici aussi c’est l’hiver, il neige beaucoup. Dès que tu reçois ta solde envoie nous vite de l’argent, car tout coûte cher en ce moment. On compte beaucoup sur toi.
Fais attention à toi. Que Dieu te garde.

Cher fils,
On a bien reçu ton mandat. Il est bien arrivé cela nous a fait plaisir. Car tout coute cher en ce moment. Il y a beaucoup de jeunes qui partent pour la guerre. Dans tous les villages ils continuent de venir les chercher, j’espère que ton frère pourra partir aussi.
Fais très attention à toi. Nous on prie Dieu qu’il t’accorde la santé.
Que Dieu te garde.

Chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix. Nous sommes arrivés en Indochine. Le voyage a duré 17 jours. Grace à Dieu je n’ai pas beaucoup été malade. Je suis tombé une fois de mon filet dans lequel on dort, car on est beaucoup sur le bateau.
Le Bastor, c’est un beau bateau, ce n’est pas comme ceux qui étaient sur le La Tos Dos, eux, ils n’avaient pas de piscine sur le pont. Nous on avait même un cinéma sur le bateau, mais on a vu un film de guerre, et pas Kais ou layla makench…
Un jour on était sur la mer Rouge, mais elle n’est pas rouge, elle est bleue comme toutes les mers. On n’était pas loin de la Mecque, tout près de la maison de Dieu, ils ont lancé un appel pour que ceux qui le veulent fassent la prière, moi j’ai prié pour vous tous.
A l’arrivée à Saigon, on était tous sur le pont du bateau, on a vu la ville dans la baie, c’est magnifique. Je vous laisse dans la main de Dieu.

Cher fils,
Dieu merci tu es enfin arrivé. Ici tout le monde va bien. Tu as fait un long voyage. Nous, on ne connait pas le cinéma. On est dans les champs. On travaille avec ce qu’on a, c’est Dieu qui décide. Ton frère a voulu s’engager mais le caïd a dit qu’il est trop jeune, c’est dommage pour lui. Il va continuer à faire le berger. Envoie-nous de l’argent, car on en a besoin. Que Dieu te garde.

Chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix. On est toujours à Saigon, c’est une grande ville, ils disent que c’est comme Paris, moi je ne connais pas Paris, j’ai vu que le port de Marseille, c’est pas pareil. A Saigon, il y a beaucoup de grandes maisons en bois, beaucoup de magasins, beaucoup de marché avec des fruits et des légumes qu’on a pas chez nous. Il y a des cinémas. On va entre marocains dans la ville, on regarde partout, c’est propre, il y a beaucoup de monde, partout des chinois.
Quand on ne va pas en ville, on fait des exercices à la caserne, et on attend les ordres pour partir à la guerre. Je vous laisse dans la main de Dieu.

Cher fils,
Dieu merci tu es en bonne santé. Ici tout le monde va bien. Fais attention à la ville il y a beaucoup de danger. Nous tu sais bien on n’aime pas trop la ville, c’est juste pour chercher ce qu’on a besoin et vendre le peu qu’on a. Ne dépense pas ton argent, fais très attention.
Envoie-nous de l’argent, car on en a besoin. Que Dieu te garde.

Mes chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix. On est toujours à Saigon, ne vous inquiétez pas je ne dépense pas mon argent. Nous les marocains on reste entre nous et on se promène, et on regarde c’est tout. Je vais bien, je suis en bonne santé, tout est bien ici.
Je vous confie à Dieu

Mes chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix.
Ça y est demain nous partons, c’est ce que nous ont dit les officiers. Le Tonkin c’est vers la Chine où il y a des montagnes. On ne sait rien de plus. C’est là-bas qu’il faut aller. C’est là-bas la guerre.
Je suis content de partir, on s’est bien préparé pour le combat, si je suis sain et sauf je reviens sinon que Dieu nous prenne en charge. Je vous envoie un mandat. Que Dieu vous garde.

Cher fils,
Nous avons bien reçu ta lettre et ton mandat qui nous a fait très plaisir.
Dieu merci tu es en bonne santé. Nous prions Dieu pour que les balles des chinois ne te touchent pas, et partent en l’air. Ici, tout la famille va bien. On vit avec ce que Dieu nous donne. Que Dieu te garde, envoie-nous un mandat dès que tu auras touché ta solde.

Chers parents,
Nous sommes dans la brousse. Tout va bien, c’est tout vert, il pleut beaucoup, mais on est bien équipé, l’armée française c’est une grande armée, on ne manque de rien. C’est la guerre mais Dieu merci je ne suis pas blessé. Je dors très bien et on mange bien, il y a des cuisiniers marocains.
J’espère que vous allez tous bien. Nous sommes tous dans la main de Dieu.
Nous allons bientôt toucher notre solde, quand on reviendra au camp, je vous envoie de l’argent.
Je vous laisse dans la main de Dieu.

Cher fils,
Dieu merci tu nous envoie enfin de tes nouvelles.
Et nous étions inquiet pour toi. Dieu merci tu es en bonne santé. Vous avez beaucoup de pluie, et ici c’est la sécheresse, mais c’est Dieu qui décide. Le fils de notre voisin Mohamed est mort contre les chinois, son père a reçu une lettre. Il y en a beaucoup de familles dans les villages qui ont reçu de mauvaises nouvelles, que Dieu leur vienne en aide.
Toi tu es vivant et en bonne santé, grâce à Dieu. Envoie-nous vite un mandat.

Chers parents,
J’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé. Je demande chaque jour à Dieu de vous apporter la santé et la paix.
On a quitté la brousse, on est à Hanoï.
Ils nous on dit que la guerre est bientôt finie et qu’on va rentrer chez nous.
Les chinois, ils ne veulent plus des français chez eux. A Hanoï on ne va pas beaucoup en ville
Mais quand on sort les chinois, ils ne nous parlent pas.
Je vous laisse dans la main de Dieu.
Chers parents,
On est à Saigon pour reprendre le bateau. Les français pleurent, mais beaucoup sont content de rentrer chez eux, beaucoup ont été fait prisonnier, ils sont revenus tout maigre. Nous on n’a jamais été gros. Moi je ne suis pas content que la guerre soit finie, j’aurais montré encore aux chinois que je suis un homme, et maintenant aussi on ne va plus toucher de solde. J’ai dis cela à un gars de chez nous, il m’a traité de fou, lui il est content de rentré dans son douar, moi je préfère gagner de l’argent pour vous l’envoyer. Au retour au Pays je vais m’engager dans l’armée française.
Je vous envoie un dernier mandat. Le bateau part demain, et si Dieu le veut dans trois semaines je serai près de vous.